OPINION. Une simple coupure de courant a suffi à révéler la fragilité extrême de nos sociétés modernes. Bien au-delà de l’électricité, c’est l’ensemble des ressources naturelles qui vacille. Dans un monde où les puissances s’affrontent désormais pour le contrôle des matières premières, l’Europe semble hésiter entre paralysie et sursaut. Par Géraldine Poivert, fondatrice de (RE)SET (*)

Par Géraldine Poivert (présidente de (RE)SET)
Publié le 21 Mai. 2025 à 08:23
Il aura suffi d’une coupure de courant pour plonger la Péninsule Ibérique dans une atmosphère de film catastrophe, paralysant l’économie, provoquant des accidents en séries, coupant Internet, les téléphones mobiles et on en passe. Simple rappel de notre dépendance devenue absolue au dieu électricité. Mais bien au-delà de l’énergie, c’est l’ensemble des ressources naturelles qui sont aujourd’hui à risque. Si vous croyez vraiment, en survolant les gazettes ou en suivant certains arbitrages budgétaires, que le défi des limites planétaires n’a plus le vent en poupe, c’est que vous n’avez rien compris… et qu’« ils » vous dupent. Car nous nous trouvons aujourd’hui au cœur des guerres liées à la transition environnementale. Simplement, elles ont pris un autre visage que celui de la préservation.
Drill baby drill
Que cette transition ne soit pas un long fleuve tranquille, on le supputait il y a cinquante ans, on le constate depuis vingt ans. Pourtant, aujourd’hui, le long fleuve est devenu une rivière furieuse, ponctuée de cascades, de tunnels et de dérivations. Donald Trump s’est fait élire notamment sur son slogan « drill baby drill », dans un contexte de négationnisme climatique. Il aurait oublié l’enjeu des ressources… C’est presque l’inverse qui est vrai : les États-Unis sont aujourd’hui pleinement conscients des vrais défis actuels. Quand le Président américain convoite ouvertement le Groenland, le Canada, les sous-sols de l’Ukraine, ceux de la République Démocratique du Congo et jusqu’aux abysses des océans, le tout sans considération aucune des règles du droit international, c’est pour de nombreuses raisons, mais l’une prime toutes les autres : la rareté des ressources.
Washington le fait à sa manière, brutale, décomplexée, sans frein. C’est la manière des « prédateurs » dont l’heure est arrivée, comme l’écrit si bien Giuliano da Empoli. L’auteur italo-suisse n’est pas le seul à avoir identifié avec justesse les mécaniques à l’œuvre. Dominique de Villepin, dans son « Point de Doctrine » publié dans « Le Grand Continent » décrit les soubassements de la « guerre totale » en cours.
Celle-ci s’enracine, écrit-il, « dans un phénomène unique, l’épuisement du modèle de développement (…) fondé sur l’exploitation intensive des ressources naturelles, sur l’intensification continue des échanges mondiaux (…) et sur l’illusion de rivaliser avec les dieux. »Car, poursuit-il, « Prométhée est épuisé » : « Notre modèle de développement se révèle pour ce qu’il est : insoutenable, insatiable, inadapté. (…) Ce que nous touchons du doigt, c’est la rareté du monde, l’étroitesse de notre planète. »opéen.
Le « modèle trumpien »
Plusieurs logiques s’affrontent désormais dans ce qui sera une impitoyable guerre des ressources. D’abord le « modèle trumpien », basé sur le déni frontal, la négation volontaire de toute limite. Ce modèle mêle extractivisme, capitalisme hybride et néo-impérialisme économique, dans un rapport au monde purement utilitaire. L’horizon, explique l’ancien Premier ministre peu suspect d’être un « khmer vert », c’est « une économie mondiale siphonnée au profit d’un seul peuple, d’un seul État, d’un seul homme ». La planète brûle et nous regardons Trump…
La deuxième logique impériale à l’œuvre ne nie pas les limites, mais les intériorise. C’est la logique de l’autosuffisance, portée par Xi Jinping dans l’héritage du maoïsme. L’empire ne s’étend pas vers l’extérieur, il se referme, bâtissant une Grande Muraille industrielle, technologique et morale. Ailleurs, sur le continent africain notamment, on tente d’utiliser la soif inextinguible des puissances impériales en métaux, bois et autres ressources pour préserver la richesse de quelques autocrates et de leurs familles… Comme dans la chanson de Solann « Je ne reconnais plus rien là où Gargantua est roi, et rien ne va, depuis que les ogres ont mangé le Monde ».
Dans ce contexte de guerre totale, donc, l’Europe évoque le lapin tremblant sans bouger, aveuglé par les phares de la voiture qui va l’écraser. Pour reprendre les termes sans équivoque, même si parfois mal compris, du Président Macron, l’Europe ne peut pas accepter de devenir « un théâtre habité par des herbivores, que des carnivores, selon leur agenda, viendront dévorer ». À l’heure des prédateurs, la posture du lapin n’est pas la meilleure ! Il reste que l’Europe doit affirmer et défendre sa propre voie, étroite, entre les impérialismes de type américain ou chinois, fondée sur le respect de l’ordre juridique international, consciente des limites de Prométhée, de l’épuisement structurel des ressources. Une forme d’humanisme écologique.
Mais « humanisme » ne veut pas dire naïveté. La guerre des ressources bat son plein et elle est partie pour durer. Face à la fureur venue d’outre-Atlantique et aux tranchées asiatiques, la posture de l’éléphant est préférable à celle du lapin. Sage, puissant, prospère et bienveillant, dit-on, l’éléphant n’a que faire des postures agressives et des trous dans la terre ! Impressionnant par sa sérénité, doué d’une mémoire prodigieuse, il suit son sentier avec détermination et résilience. Si on l’attaque, ses défenses peuvent atteindre trois mètres. De quoi faire oublier son apparente lourdeur et une certaine inertie. Re-saisissons-nous et bâtissons une économie circulaire industrielle. Vite.
Géraldine Poivert , fondatrice et directrice générale de (RE)SET, ambassadrice France 2030, membre du conseil d’administration de l’INEC