Fumée verte à Dubaï ! Un accord a donc été trouvé, approuvé par acclamation et donc à l’unanimité des 195 pays participants. Mais à quoi tient le résultat d’une COP ? A deux mots : oubliez le « phasing out », retenez le « transitioning away » ! En français et à l’attention du profane, on traduira par « oubliez la sortie des énergies fossiles », « retenez la transition progressive vers des énergies alternatives ». Accord historique, étape importante, victoire de la diplomatie climatique : les Etats se sont bruyamment félicités de cette avancée sémantique apportant la délivrance ultime.
Un enthousiasme à demi partagé par les scientifiques, dont certains reconnaissent la dimension « quasi historique » et « ambitieuse » de l’accord (François Gemenne, co-auteur du dernier rapport du GIEC) tandis que d’autres le jugent « nécessaire mais insuffisant (Valérie Masson-Delmotte, ex-collègue du précédent) et que d’autres encore redoutent « un accord de papier » (Jean Jouzel, ex-collègue des deux précédents, qui présente aussi l’accord comme « une auberge espagnole », où chacun peut venir prendre et comprendre ce qu’il souhaite, ou non). La « preuve », si on ose écrire : même TotalEnergies a jugé, dans un communiqué, que « l’accord de Dubaï renforce sa stratégie » …
Bref, un bel exercice de diplomatie dont nul ne peut dire s’il sera vraiment suivi d’effets. De fait, « comment démêler le vrai du fossile », pour reprendre le jeu de mots de la « Une » de Libération ?
En réalité, « la question de savoir s’il s’agit d’un tournant qui marque véritablement le début de la fin de l’ère des combustibles fossiles dépend des actions à venir et de la mobilisation des fonds nécessaires pour les mener à bien », analyse l’ancien vice-Président des Etats-Unis, Al Gore. Car pour mener à bien les nobles ambitions de la COP, il faudra mettre les mains à la pâte. Or « on a vu un manque flagrant de financement dans tous les domaines de la lutte climatique, que ce soit transition énergétique, l’adaptation ou les pertes et dommages », regrette Fanny Petitbon de l’ONG humanitaire Care. Valérie Masson-Delmotte ne dit rien d’autre, qui pointe que le succès, ou l’échec, dépendra pour l’essentiel des financements apportés, ou non. Laurence Tubiana, Présidente de la Fondation européenne pour le climat et architecte des Accords de Paris, est bien placée pour savoir que ces accords ne sont pas juridiquement contraignants et que leur traduction dans les faits dépendra in fine de la bonne volonté des Etats. Pour que l’accord de la COP 28 ne reste pas qu’une coquille vide, « de nouvelles sources financières, de nouveaux plans climatiques ambitieux et des avancées en termes d’adaptation doivent encore être discutés avant la COP29 », affirme-t-elle.
A propos de COP 29 et pour en finir donc avec la COP 28, on a bien noté qu’elle se tiendra l’an prochain, dans une autre dictature pétro-gazière : l’Azerbaïdjan. Pied de nez aux ONGs, certes, mais après tout, l’accord de Dubaï était mal engagé, lui aussi, mais le résultat n’est « pas nul », comme disent les enfants. D’ailleurs, l’une des curiosités touristiques de Bakou n’est autre que le bain de pétrole brut. La cure de pétrole brut est supposée bonne pour soigner la polyarthrite. Tenté(e)s ? 😉
Pour clore, jusqu’à Bakou, le sujet, deux illustrations doivent nous amener à réfléchir. D’abord celle-ci, qui nous rappelle l’extraordinaire inertie des phénomènes en jeu et qu’une bonne partie du mal a déjà été faite et prendra du temps, des décennies et plus, à être corrigé. Depuis 1978 et la première Conférence Mondiale sur la Climat, la concentration du CO2 dans l’atmosphère n’a cessé de progresser. Pire : de plus en plus vite.
Et cela ne peut pas être une surprise car, c’est la deuxième illustration, la production et la consommation du principal responsable des émissions de gaz à effet de serre ne cesse de progresser, ayant atteint en 2023 son record historique. On parle bien du « King coal », le charbon. La demande mondiale a atteint 8,53 milliards de tonnes cette année – du jamais-vu –, a annoncé aujourd’hui l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Le charbon reste, aujourd’hui comme au 18e siècle, la première source d’énergie mondiale, or il est à lui seul responsable de plus de 40 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre, contre 32 % pour le pétrole et un peu plus de 20 % pour le gaz. La combustion du charbon pour produire de l’énergie émet donc dans l’atmosphère une large part du CO₂ responsable du réchauffement de la planète. Pour rappel, le 6 décembre, l’observatoire européen Copernicus a annoncé officiellement que 2023 serait aussi l’année la plus chaude mesurée dans l’histoire des relevés.
La transition est facile pour débuter nos rubriques hebdomadaires avec le rapport de la semaine, qui nous vient de la FAO (Food and Agricultural Organization). Il confirme ce que l’on sait aussi de longue date, sans que la situation change : l’élevage est responsable de 12% des émissions humaines de gaz à effet de serre et sans surprise, la production de viande constitue la principale source de ces émissions. Les émissions directement liées à l’élevage, depuis les rots des bovins jusqu’à la fermentation du fumier, représentent 60 % du total. Dans les émissions indirectes, la FAO a comptabilisé la fabrication des engrais et des pesticides pour la production du fourrage, le transport et la transformation des animaux, mais aussi la conversion de forêts en pâtures ou en champs de soja destiné au fourrage. Selon le rapport, l’élevage de bovins est la principale source d’émissions (62 %), suivi par celui des porcs (14 %), des poulets (9 %), des buffles (8 %) et des moutons et chèvres (7 %). Du côté des denrées produites, c’est donc la viande qui est la plus grosse source (67 %), devant le lait (30 %) et les œufs (3 %). Bref, comme disait Jacques Chirac en 1995, « Mangez des pommes » 😉
A propos d’agriculture, la bonne nouvelle de la semaine concerne l’eau. Pour la première fois depuis trois ans, les nappes phréatiques en France sont revenues à un niveau presque correct, grâce aux fortes pluies des deux derniers mois. « Les niveaux sont très favorables sur les nappes réactives des deux tiers nord », où les niveaux sont même « très hauts », et du sud-ouest, « mais restent sous les normales pour les nappes de la Corse, du pourtour méditerranéen, de la plaine de la Limagne, du couloir Rhône Saône, du sud de l’Alsace et du Bassin parisien », note le BRGM dans sa dernière étude.
Il n’y a pas que dans l’eau que l’on trouve des molécules chimiques nocives, le rapport européen de la semaine, rendu public par l’Agence Européenne des Produits chimiques (ECHA), nous informe qu’ un article de grande consommation sur cinq actuellement vendu dans nos contrées devrait être interdit. Et ce en raison de la présence excessive de produits chimiques dangereux (plomb, cadmium, phtalates, …). Des jouets, des écouteurs, des tapis de yoga, des gants de vélo, des chaussures, des bijoux : sur environ 2 400 articles contrôlés en 2022 dans vingt-six pays de l’Union européenne, dont la France, par les services de répression des fraudes ou les douanes, plus de 400 (20 %) étaient en infraction avec la législation européenne. Les appareils électriques (jouets électriques, chargeurs, câbles, écouteurs) sont les premiers concernés : plus de la moitié de cette catégorie d’articles (52 %) a été jugée non conforme, principalement en raison de la présence de plomb dans les soudures, de phtalates dans les pièces en plastique souple ou de cadmium dans les circuits imprimés. Des 2 400 articles contrôlés, la majorité correspond à des produits importés, soit d’origine « extérieur[e] à l’espace économique européen » (1 289) ou « inconnue » (523). L’ECHA précise que la plupart proviennent de Chine. Ce sont eux qui présentent les taux de non-conformité les plus élevés : 22 % contre 8 % pour les articles fabriqués en Europe.
A propos de Chine, le rapport vigilant de la semaine nous vient du Parlement Européen, qui n ous apprend qu’une quarantaine de marques iconiques du secteur textile, dont Hugo Boss ou Zara, utilisent toujours certains produits fabriqués par des travailleurs forcés ouïghours. De quoi rendre urgente, selon les députés européens, l’adoption prochaine de la C3D. Vous avez apprécié la CSRD ? Vous adorerez la C3D ! Si la CSRD concerne les publications des entreprises, la CSDDD, elle, concerne plus directement la mise en oeuvre proprement dite de « processus complets visant à atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme et l’environnement dans leurs chaînes de valeur ». Elle en précise les objectifs : « intégrer la durabilité dans leurs systèmes de gouvernance et de gestion d’entreprise, et élaborer leurs décisions commerciales au regard des incidences sur les droits de l’homme, le climat et l’environnement, ainsi qu’au regard de la résilience de l’entreprise sur le long terme ». Le texte va plus loin que la loi française actuelle sur le devoir de vigilance, avec des sanctions financières lourdes à la clef et une grande possibilité de recours judiciaires.
Pas de quoi faire peur, au moins on l’espère, aux patrons militants qui signent la tribune de la semaine, publiée par Le Monde. Se démarquant du MEDEF, les chefs d’entreprise Pascal Demurger (MAIF) et Philippe Zaouati considèrent, dans une tribune au « Monde », que la contrainte de transparence amenée par la CSRD sur les impacts environnementaux constitue plus une stimulation qu’un frein pour aider à prendre de bonnes décisions. Chez (RE)SET, on partage la vision d’une CSRD « tableau de bord » pertinent pour les entreprises !
Les nouvelles priorités de la semaine, et même de l’année, pour France 2030, ont été dévoilées par Emmanuel Macron. Plutôt que d’accélérer les financements, le Président veut fixer de nouvelles priorités : petits réacteurs nucléaires, fusion nucléaire, aimants supraconducteurs, capacité de raffinage du lithium sur le territoire, cartographie des ressources minérales, hydrogène blanc, captage carbone. Surtout, pour attirer les projets industriels en France, le chef de l’Etat promet une « hyper-simplification » des procédures dans tous les domaines, notamment d’implantations de sites, dès le début 2024, dans l’esprit de la loi sur l’Industrie Verte. Et là, on applaudit, surtout concernant l’industrie lourde : il y a encore des progrès possibles, pour le dire poliment, comme on le constate régulièrement chez (RE)SET…
Autre annonce gouvernementale de la semaine, ont connaît désormais les critères qu’il faudra remplir pour avoir une chance de conduire bientôt une voiture électrique pour 100 euros par mois. On vous le dit tout de suite, il est peu probable que vous soyez concerné(e). Les critères de revenus, de distance au travail et de nombre de kilomètres conduits par an vont ramener à environ 20 000 le nombre de personnes concernées. Soit, selon un calcul de cuisine, 0,03% de la population française. Pas sûr que cela soit suffisant pour combler les inégalités sociales inhérentes à la transition en France…
La devinette de la semaine dernière nous avait tellement fait monter en niveau qu’il est difficile d’aller plus haut (c’était l’indice 😉). Qui a dit : « (…) remplissez la terre et soumettez-la (…) Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre » ? Plusieurs ont trouvé la bonne réponse : le Créateur, lui-même. C’est au moins ce que l’on peut lire dans la Genèse 😊. On n’en veut pas aux rédacteurs de ce saint texte, la COP 15 et la SNB 3 n’avaient pas encore eu lieu, à l’époque ! La devinette de cette semaine ne réjouira pas forcément les inconditionnels d’Instagram (indice 😉). Qui est aujourd’hui le premier prédateur de la biodiversité animale (en dehors de l’humain, bien entendu, champion hors catégorie) ?