L’évènement de la semaine est bien sûr la formation du gouvernement Attal au complet. Pardon, c’était une mauvaise blague. Comme dit Le Monde, « une aussi longue attente pour un non-événement » ! Concernant la transition, on notera simplement qu’il n’y a… rien à noter dans cette fin de remaniement, ou presque comme on le verra un peu plus bas. Pour parler de choses plus sérieuses, l’éloignement de la crise agricole a permis aux observateurs de faire les comptes, à froid. Et il apparaît, ce qui ne surprendra pas les lecteurs de cette Breaking (RE)NEWS, qu’au final « la protection de la biodiversité est la grande perdante de la crise agricole ». Qu’on en juge.
Parmi les principaux reculs, l’exécutif a donc annoncé la « mise à l’arrêt » du plan Ecophyto, visant à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici à 2030. Cette décision intervient alors que l’Etat a été condamné, en juin 2023, pour ne pas avoir respecté ses engagements de baisse de l’utilisation de ces produits phytosanitaires, et enjoint à réparer le préjudice écologique associé avant juin 2024. Mais il n’y a pas que cela, dans les gestes donnés à la FNSEA. Il y a aussi le placement de l’Office français de la biodiversité (OFB) sous tutelle des préfets. Dans la foulée de cette déclaration, les incidents visant l’OFB se sont multipliés. Pour mémoire, l’OFB compte 3 000 agents, dont 1 800 inspecteurs de l’environnement, et réalise de nombreuses missions : il mène notamment des actions de police administrative pour vérifier que les réglementations sur l’irrigation, l’épandage ou encore le maintien de chemins ruraux sont bien respectées. L’établissement exerce aussi des missions de police judiciaire, sous l’autorité du procureur. Chaque année, 3 000 contrôles concernant la profession agricole sont réalisés, alors que la France compte 400 000 exploitations. Une minorité d’entre eux donne lieu à des procès-verbaux. Autre recul dommageable, concernant les jachères, le gouvernement a obtenu de la Commission européenne la proposition de ne pouvoir appliquer que partiellement, en 2024, la disposition prévue dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Les agriculteurs pourront ainsi bénéficier des aides s’ils consacrent 7 % de leurs exploitations à des cultures intermédiaires (implantées pendant quelques mois entre deux cultures principales) ou fixatrices d’azote, et n’auront pas besoin de réserver une partie de leurs exploitations (3 %) à des haies, des bosquets, des mares ou des jachères. Les haies, ces grandes préservatrices de biodiversité, haïes des grandes exploitations céréalières, qui feront donc l’objet d’une « simplification réglementaire ». Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci. Au surplus, le projet de cartographie des zones humides – dont plus de 50 % ont disparu depuis 1960 – a été mis sur « pause », un mot devenu très à la mode en matière de transition environnementale. Il a aussi été annoncé que le pays allait déroger pendant un an à l’obligation de réimplantation de prairies dans les départements où une trop grande part de ces écosystèmes cruciaux pour la protection de la biodiversité et le stockage de carbone.
Au-delà de ces annonces, la préservation de l’environnement a été présentée par le gouvernement comme l’une des causes des difficultés du secteur, victime du dérèglement climatique. Il n’a pas été rappelé, en revanche, que l’agriculture intensive était aussi l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre et l’un des principaux responsables de l’effondrement du vivant. Ni qu’un autre modèle, reposant sur l’agroécologie, est mis en avant par les experts et le Haut Conseil pour le climat, dans un rapport au timing parfait dont le Breaking (RE)NEWS s’était fait l’écho.
À la suite de ces développements, on a peu entendu Sarah el Hairy, éphémère Secrétaire d’Etat à la biodiversité. A sa décharge, elle était perdue dans le « no man’s land » du remaniement. Elle accélère désormais son déménagement vers son nouveau poste – Ministre déléguée en charge de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, comme on l’a appris hier. Et c’est Hervé Berville, Secrétaire d’Etat chargé de la Mer, qui voit ses responsabilités élargies à la biodiversité. Il est désormais rattaché au ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu. La Mer et la Biodiversité, deux domaines qui nous intéressent, chez (RE)SET.
En attendant, pour reprendre les mots du chroniqueur du Monde Stéphane Foucard, si « réarmement agricole » il y a, c’est surtout d’un « réarmement chimique » de l’agriculture qu’il est question. A l’heure où l’infertilité et les maladies chroniques s’envolent dans la population générale, où environ un tiers des foyers français reçoivent au robinet une eau non conforme aux critères de qualité pour cause de métabolites de pesticides, où sans doute plus de 80 % de la biomasse d’insectes volants et 60 % des oiseaux des champs ont disparu en quarante ans, on se plaît à imaginer le fou rire nerveux d’hypothétiques historiens qui chercheraient, dans les prochaines décennies, à décrire et surtout comprendre la logique de ce qui se produit ces jours-ci. »
N’en déduisez pas trop vite que la Breaking (RE)NEWS ne soit pas sensible aux défis que doit relever le monde agricole, bien au contraire ! Il faut réformer la production agricole pour le bien des agriculteurs, pour le nôtre et pour l’environnement. Réformer. Pas mettre la poussière sur le tapis…
C’est dans ce contexte -notez l’habile transition vers nos rubriques hebdomadaires – que la tribune de la semaine s’inscrit. Depuis Lio et les années 80, on sait que « les brunes (ne) comptent pas pour des prunes ». Les scientifiques français ne souhaitent pas non plus qu’on les prenne pour des prunes et s’en émeuvent violemment dans leur texte, co-signé par des centaines d’entre eux, éloquemment titré : « Nous, chercheurs et chercheuses, dénonçons une mise au placard des connaissances scientifiques ». En cause : les annonces consécutives à cette fameuse crise agricole et en particulier la mise sur « pause » du plan Ecophyto 3. INSERM, INRAE, IFREMER, CNRS, toute la crème des scientifiques de ces institutions en ont lourd sur la patate, comme on dit chez les agriculteurs…
Biodiversité et pollution toujours, la contamination de la semaine nous emmène dans les Cévennes, à Salindre, où des analyses inédites révèlent des taux spectaculaires d’acide trifluoroacétique (TFA) dans les cours d’eau autour d’une usine de production de PFAS du groupe Solvay, ainsi que dans l’eau potable. Selon l’enquête du Monde, la localité de 3 500 habitants est victime de ce qui pourrait être la plus importante pollution jamais détectée à l’une des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Reliés à plusieurs cancers, à des troubles cardio-vasculaires et thyroïdiens, ou encore à des altérations du système immunitaire, les PFAS peuvent persister dans l’environnement pendant des siècles. Fluorures, aluminium, arsenic, métaux lourds, chlorures, hydrocarbures etc. : un document ne répertoriait en 2012 pas moins de 62 substances émises dans l’environnement par les activités de la plate-forme locale. Jusqu’en 2008, Rhodia rejetait même du gaz moutarde (phosgène) directement par la cheminée. La pollution aux PFAS dure quant à elle depuis quatre décennies, et le TFA, un PFAS à chaîne de fluor-carbone ultracourte est, de ce fait, ultramobile.
Pendant que certains louent les vertus de « la pause », la Commission Européenne appuie plutôt sur l’accélérateur, au moins dans ses objectifs déclarés. Le plan de route de la semaine est donc celui de l’administration européenne. Ainsi que le rappelle L’Usine Nouvelle, jusqu’alors, en Europe, deux objectifs étaient connus : réduire de 55% les émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport aux niveaux de 1990), et atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Mardi 6 février, la Commission a dévoilé un jalon supplémentaire en plaidant pour une réduction de 90% des émissions d’ici à 2040. D’après la « loi climat », qui a fait l’objet d’un accord en 2021 à l’échelon européen, la Commission doit faire le point sur les objectifs climat dans les six mois suivant chaque bilan mondial. La COP 28 à Dubaï remontant à la fin d’année dernière, l’exécutif européen aurait pu dévoiler ses plans d’ici à la mi-2024. Mais avec l’échéance des élections européennes de juin, l’exercice aurait été encore plus périlleux plus tard dans l’année. « Je me réjouis car il faut que les objectifs soient clarifiés », explique l’eurodéputé Pascal Canfin (Renew Europe), qui espère que ces annonces pourront « irriguer le débat démocratique » en vue du scrutin. Dans la réalité, peu d’observateurs tablent sur une mise en place de ce nouveau jalon tel qu’il vient d’être présenté. De fait, la Commission actuelle ne sera plus en place et la nouvelle, qui traduira en partie les résultats des prochaines élections au Parlement Européen, risque fort de ne pas reprendre à son compte un tel niveau d’ambition.
Le vote de la semaine était bien sûr celui des Parisiens à propos de la tarification du parking des SUV dans la ville-lumière. Bonne nouvelle : les citoyens ont été directement consultés sur un sujet touchant à la transition environnementale et économique. Mauvaise nouvelle : bien peu se sont sentis concernés… Comme le confirme Le Parisien, « la participation a été très faible », puisque seuls 5,7 % des inscrits, soit 78 121 sur 1 374 532, se sont rendus aux urnes dans l’un des 222 bureaux de vote déployés pour l’occasion. Ce sont donc 42 415 personnes (54,55 % des votes) qui ont décidé d’un triplement à venir du prix du stationnement des SUV ou plutôt, pour reprendre l’expression officielle employée lors du vote, des véhicules « lourds, polluants et encombrants ». Avis aux propriétaires de SUV parmi vous, le triplement devrait être effectif au 1er septembre, selon la Maire de Paris, Anne Hidalgo.
L’interview de la semaine est celle de Jean-Michel Soubeyroux, climatologue chez France Météo, au journal Libération, à propos du manque de neige dans nos montagnes : « L’hiver 2024 illustre les problèmes de demain, qui sont déjà ceux d’aujourd’hui ». La photo illustrant l’article (ci-dessous) se passe de commentaires. Il est certains que les stations de sport d’hiver doivent dés maintenant envisager leur transition à marche forcée. Seulement voilà, ce n’est pas le cas, selon le dernier rapport de la Cour des Comptes sur le sujet, publié la semaine dernière et analysé par Le Monde. Pour la Cour, les stations de ski n’ont pas suffisamment pris la mesure du changement climatique, estimant que seuls quelques sites en France peuvent espérer poursuivre une exploitation au-delà de 2050 et que cette évolution est sous-estimée par les maires et les collectivités territoriales.
A propos de climat, les profits de la semaine sont bien sûr ceux de TotalEnergies : 21,4 milliards de dollars en 2023, c’est même un record historique. Grâce à la « croissance des hydrocarbures, en particulier du gaz naturel liquéfié (GNL) et de l’électricité », la multinationale a amélioré son bénéfice net de 4 % par rapport à l’année 2022, au cours de laquelle elle avait déjà réalisé un record de 19,5 milliards d’euros de bénéfices. Les dividendes versés aux actionnaires augmenteront de 7,1 %, a également annoncé le groupe. L’économiste Maxime Combes rappelle, dans Reporterre, que TotalÉnergies a investi, en 2023, trois fois plus d’argent dans les énergies fossiles que dans les énergies bas carbones. Ces dernières n’ont bénéficié que de 4,9 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) au cours de l’année passée (sur un total de 16,8 milliards de dollars d’investissements, soit 15,6 milliards d’euros). La rémunération des actionnaires s’est, quant à elle, élevée à 16,6 milliards d’euros (15,4 milliards d’euros). Soit trois fois le montant investi dans les énergies bas carbone. Cela a le mérite d’être clair.
La grande bébête de la semaine est précieuse pour la protection de la biodiversité, pour rester dans le thème ! Il s’agit de la loutre de mer, grande protectrice des marais salants. Dans un numéro récent de la revue Nature, une équipe américaine publie une étude qui démontre comment le retour du mustélidé dans un marais salant de Californie a permis d’enrayer la dégradation de l’écosystème, en dépit des pressions continues infligées par les humains. La revue y consacre même sa « une ». Plus petit mammifère marin de la planète, la loutre de mer a longtemps peuplé l’ensemble des zones côtières américaines, jusqu’à ce que l’industrie de la fourrure la décime, à partir du XVIIIe siècle. En Californie, seul un petit groupe résistait sur la côte de Big Sur. Au milieu des années 1980, profitant des mesures de protection, quelques individus sont revenus dans l’estuaire d’Elkhorn Slough. A la fin des années 2000, elles étaient plus d’une centaine et se multiplient depuis, avec un résultat très clair : là où elles se concentrent, les loutres de mer empêchent l’érosion de la biodiversité ! Une équipe de scientifiques vient de rendre ses conclusions : le rythme d’érosion des berges à Elkhorn Slough décliné à mesure que la population de loutres augmentait, mais pas n’importe où. La résistance de l’environnement (sols et biomasse) se concentrait là où les mammifères étaient les plus nombreux, avec une baisse de l’érosion allant jusqu’à 90 % dans les zones les plus peuplées. Le motif principal : l’alimentation de la loutre de mer, qui adore les petits crabes qui sont, eux, responsables de l’érosion !
Le nouveau mot de la semaine est « poubellocène » ! Vous connaissiez l’anthropocène, vous allez adorer le poubellocène. Une passionnante enquête du Monde revient sur « la folle histoire de l’ère des déchets ». Alors qu’ils n’existaient pas jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle, les déchets ont colonisé le vivant. Au-delà des défis techniques qu’ils soulèvent, ils sont devenus un terrain d’enquête pour les sciences humaines, qui s’attachent à éclairer les systèmes et les mythes à la source de leur production. Ils sont aussi devenus un sujet fascinant pour les consultants de (RE)SET, mais cela c’est une autre histoire
Le bêtisier de la semaine est à chercher du côté de Pascal Praud, journaliste vedette des « Médias Bolloré ». Il est parvenu à cumuler un maximum de lieux communs erronés concernant l’environnement et la transition en un minimum de phrases, réunies dans sa chronique au Journal du Dimanche de la semaine dernière, élégamment intitulée « « Écologisme, date de péremption 2024 ». Vous en trouverez le détail dans ce post mi ironique mi énervé de Loup Espargilière, rédacteur en chef de « Vert, le média qui annonce la couleur ». Sa conclusion : « Pauvre Pascal Praud, ce doit être dur de ne jamais rien comprendre à rien ».
La devinette de la semaine dernière était une citation récente et fort bien tournée, dont il s’agissait de retrouver l’auteur. Qui a donc écrit : « Les pôles sont surchauffés. L’océan est en colère à l’ère de l’ébullition généralisée, malade du plastique, gavé de CO2 et de la chaleur accumulée dans l’atmosphère par l’effet de serre, rongé comme ses coraux par l’acidification. La grande vague, éruptive, n’attend qu’un signe pour déferler. Et nous continuons, enfants capricieux, à sautiller joyeusement sur la fine couche de glace qui cédera bientôt sous le poids de notre coupable insouciance ! » L’indice était que cette personne sait écrire et, de fait, il s’agit d’un écrivain : Olivier Poivre d’Arvor est écrivain et diplomate. Il est aussi ambassadeur de France pour les pôles et les enjeux maritimes.
La devinette de cette semaine est une liste : quels sont les dix plus gros pollueurs plastique de 2023 ? La liste des lauréats vient d’être révélée dans le dernier rapport du collectif BreakFreeFromPlastic. Un indice : la plupart sont ceux auxquels vous pensez probablement.