Accusée par les milieux d’affaires de nuire à la compétitivité des entreprises, la directive européenne sur la durabilité (CSRD) serait menacée selon les dernières déclarations de Stéphane Séjourné. Pour Géraldine Poivert, elle est pourtant la « boussole » permettant de prendre la direction de la transition.
Les auditeurs comptables ne sont pas des gens méchants, mais ils sont sans doute insuffisamment révoltés… Car « la logique du révolté est (…) de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel », expliquait Albert Camus !
Et pourtant ! La CSRD, ce n’est pas ce que vous croyez… Pour énoncer clairement ce qui se conçoit bien, la CSRD est un rapport de durabilité. Un outil puissant, indispensable à toute stratégie d’entreprise acceptant de regarder au-delà de son rapport financier trimestriel. Une boussole de qualité, qui indique bien plus que le nord : la direction d’une nécessaire transition durable et efficiente ! Et il n’y a pas d’alternative, n’en déplaise aux climato sceptiques qui bombent le torse ces jours-ci. Car les faits sont têtus.
Un diagnostic de l’entreprise face aux vulnérabilités
Los Angeles brûle. Les cours du cuivre explosent, ceux du café aussi, la pénurie d’oranges menace, les pollutions aux microplastiques, engrais chimiques et autres polluants éternels se développent, l’eau se fait rare, le détricotage du « pacte vert » menace, bref, tout se cumule pour tenter de faire oublier l’inéluctabilité de la révolution de la ressource ! La vérité est qu’il faut la prendre à bras-le-corps.
Alors oublions les acronymes un instant. Ce nouveau rapport de durabilité donne un diagnostic de l’entreprise. Sur 10 normes, dont 5 environnementales (changement climatique, pollution, eau et ressource marine, biodiversité et écosystèmes, ressources et économie circulaire), les autres relevant du social et de la gouvernance. On retrouve donc les fameuses thématiques ESG. Sur ces 10 thèmes, on collecte les données, on mesure les impacts. L’impact sur moi et sur la nature. L’impact de la nature sur moi. Pour ce faire, on interroge les parties prenantes. Puis on construit sa « matrice de double matérialité ». Oups !
Les commissaires aux comptes et autres auditeurs sont des gens sérieux et précis, ils aiment les concepts, on ne peut pas leur en vouloir, c’est leur métier. Alors la CSRD repose sur l’« analyse de matrice de double-matérialité ». Cela fait un peu peur. C’est pourtant simple, concret et essentiel. Quel est l’impact de l’entreprise sur son environnement, ses salariés, sa gouvernance ? C’est la première matérialité. Et quels sont les impacts de ces derniers, financièrement, sur l’entreprise elle-même ? C’est la deuxième matérialité.
Un exemple simple : le secteur de la pêche. Les pêcheurs… pêchent. Ils ont donc un impact sur la biodiversité marine : il y a moins de poissons. Et ce manque de poissons va faire qu’ils risquent de pêcher moins à l’avenir, ce qui affectera leurs recettes financières. Biblique. Donc il faut éviter la surpêche si l’on entend maintenir son activité, qu’elle soit durable : ce n’est pas, en l’espèce, une grande découverte. C’est ce simple principe, dit « de double matérialité », qui guide toute la CSRD.
Une obligation de dire, et non de faire
Le rapport de durabilité n’est pas une obligation de faire, c’est une obligation de dire. Mais en « disant » publiquement, on s’oblige peu ou prou à faire. C’est l’impact vertueux de la transparence. Car chacun, investisseur, financier ou autre pourra tirer ses leçons du rapport, avec des conséquences en termes de capacité d’emprunt, de volonté d’accompagner de nouveaux projets…
Un conseil à suivre : privilégier le collectif pour faire la moitié, peut-être la plus stratégique, du chemin. Pour atténuer le caractère parfois fastidieux de l’exercice (identification de tous les IRO – impact risque opportunité —, collecte des données, matrice de double matérialité), et aboutir à des diagnostics concrets, les entreprises gagneraient à se regrouper par secteur. Elles en ont le droit.