Bonjour,
Nous nous étions quittés avec la COP 16, consacrée à la biodiversité, aux résultats ambivalents et nous nous retrouvons aujourd’hui avec une COP 29, dédiée au climat, aux résultats… ambivalents ! Dans les deux cas, les négociations ont achoppé notamment sur une question clef, que l’on retrouve en ce moment dans la plupart des sujets ayant trait à la transition environnementale et économique : le financement, l’argent, l’oseille, le flouze. Bref, le nerf de la guerre ! Et comme souvent, cette COP 29, selon l’angle que l’on retient, peut être lue de diverses manières. On peut ainsi se féliciter, avec l’ONU-Climat, d’un « triplement des financements aux pays en développement ». Ou déplorer, avec Libération, que l’on soit « loin des 1 000 milliards espérés ». Pour rappel, les pays développés s’étaient engagés à financer « 100 milliards » de dollars par an de projets favorables au climat dans les pays pauvres (pour simplifier). Et ils y sont parvenus une fois, en 2022, avec quelques années de retard. Mais ce chiffre, calculé de manière non scientifique en 2009, ne correspond à rien et les études récentes, notamment de l’OCDE et des Nations Unies pointent plutôt vers un besoin de 1200 à 2500 milliards annuels. Dans ces conditions, les pays du « Global South », comme on dit, espéraient à Bakou la promesse d’un financement de l’ordre de 1000 milliards. Avec les 300 obtenus, ils sont loin du compte et ne se privent pas de le dire, l’Inde en tête. Comme le constate The Conversation, les bailleurs occidentaux ne sont pas disposés à régler seuls une facture supérieure, alors que la Chine et les autres pays émergents rappellent qu’ils ne sont pas mentionnés dans l’Annexe 2 de la Convention de 1992 listant les responsables historiques du réchauffement climatique.
Ces chiffres semblent élevés, en valeur absolue, mais il ne faut pas oublier, rappelle Le Monde, que les financements Nord-Sud pour le climat déclarés par les pays développés représentent actuellement environ 0,2 % de leur PIB. A titre de comparaison, les plans de sauvetage et de relance post-Covid-19 (s’étalant sur plusieurs années) annoncés en 2020 par les pays du Nord s’élevaient à 23 % de leur PIB. Les dépenses militaires atteignent elles, en 2024, près de 1 500 milliards de dollars pour les seuls pays de l’OTAN, soit 2,7 % de leur PIB.
Il faut dire que cette COP se présentait mal. Organisée en Azerbaïdjan, pays pétrolier « autoritaire » pour rester poli, snobée par les dirigeants français pour cause de droits de l’homme bafoués et d’activités répréhensibles de Bakou en Nouvelle Calédonie et aux Antilles françaises, boycottée par certains petits pays estimant qu’ils n’allaient rien obtenir pour eux, dénoncée par des ONGS dénombrant plus de 1700 lobbyistes du secteur fossile sur place, inaugurée par des Azerbaïdjanais louant le « don de Dieu » du pétrole, n’avait pas grand-chose pour plaire. Elle n’a donc pas abouti à grand-chose, sinon à retirer des textes la référence aux 1,5 degrés chère aux Accords de Paris et d’ « oublier » de mentionner l’objectif d’un retrait des énergies fossiles ! C’est ce qui peut arriver, quand on place le renard au centre du poulailler, pour reprendre l’image de Libération.
Un progrès doit néanmoins être noté : l’accord trouvé, après neuf ans de négociations, concernant le marché carbone. Selon l’accord adopté à Bakou, le nouveau marché du carbone sera supervisé par l’ONU, et les acteurs privés devront démontrer que leurs activités contribuent aux objectifs de développement durable. Ils devront également identifier et traiter les éventuelles répercussions environnementales et sociales négatives de leurs projets. Mais certains scientifiques s’interrogent sur les limites du mécanisme. Kevin Anderson, un chercheur britannique, soulève par exemple dans The Guardian le problème du décalage temporel entre les émissions et les effets de la compensation. « Dès que vous faites voler un avion, vous libérez du dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Ce CO2 va continuer à réchauffer la planète pendant que les arbres censés compenser ces émissions mettront peut-être un siècle à pousser. » Payer les pays du Sud global afin qu’ils préservent leurs forêts pour ne pas avoir à décarboner chez soi, est-ce une si bonne idée, s’interroge-t-il ?
Du sommet de Rio en 1992 à la COP29 de 2024, la valse lancinante des COP peut sembler désespérante : les avancées obtenues sont loin, on le sait, d’avoir répondu aux urgences de la situation. Mais comme le rappellent plusieurs observateurs, où en serions-nous dans un monde sans COP ? Encore moins loin…
Climat toujours, la météo de la semaine nous rappelle que les COP doivent en effet intensifier leurs efforts : 2024 sera de loin l’année la plus chaude jamais enregistrée dans l’histoire de l’humanité, selon le programme européen Copernicus. En l’espèce, un graphique vaut mieux qu’un long discours :
Voilà, 2024 restera donc comme la première année où la température moyenne du globe aura dépassé les 1,5 degrés de plus (limite fixée par les Accords de Paris) que la moyenne préindustrielle. Gageons qu’elle ne sera pas la dernière… Mais bon, comme dirait Donald Trump, « il ne s’agit pas d’un réchauffement climatique, car à certains moments, la température commence à baisser un peu ». Qui se dévoue pour lui envoyer les 28 rapports du programme Copernicus ? Pour rappel, les politiques actuelles entraîneraient un réchauffement « catastrophique » de 3,1 °C au cours du siècle, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Et même si toutes les promesses de faire mieux étaient tenues – ce ne sera pas le cas-, la température moyenne mondiale grimperait de 2,6 °C. Pour rappel aussi, le plan national d’adaptation français table sur une température à +4 degrés, ce qui en dit long sur notre confiance dans les efforts faits…
La nomination de la semaine n’est pas très encourageante, à défaut d’être surprenante, nous dit Le Monde. La vague de nominations enclenchée par Donald Trump pour sa future administration continue – il entrera à la Maison Blanche le 20 janvier. Le président élu républicain a annoncé, samedi 16 novembre, son intention de placer au poste de secrétaire à l’énergie Chris Wright, PDG de l’entreprise Liberty Energy, spécialisée dans la fracturation hydraulique, avec pour feuille de route la dérégulation du secteur. « En tant que ministre de l’énergie, Chris [Wright] sera un leader-clé, stimulant l’innovation, réduisant les barrières administratives et inaugurant un nouvel “âge d’or de la prospérité américaine et de la paix mondiale” », a déclaré Donald Trump dans un communiqué. Climatosceptique, Chris Wright jugeait, dans un post sur son compte LinkedIn il y a un an, qu’« il n’y a pas de crise climatique et qu’[on n’était] pas non plus en pleine transition énergétique ». « Le terme de pollution par le carbone est scandaleux », car toute vie dépend du dioxyde de carbone, avait-il ajouté, refusant également les qualifications « d’énergie propre ou d’énergie sale, toutes les sources d’énergie ayant des impacts à la fois positifs et négatifs ». Prometteur.
Le rapport de la semaine sur l’épuisement des ressources concerne les métaux. Selon le rapport annuel « Transition Metals Outlook », du cabinet d’étude BloombergNEF, « l’approvisionnement en métaux-clés de la transition énergétique, tels que l’aluminium, le cuivre et le lithium, pourrait être confronté à des pénuries au cours de cette décennie, certains dès cette année ». Il faudrait investir 2 100 milliards de dollars dans l’industrie minière pour faire face aux besoins de métaux d’ici à 2050, poursuit le cabinet d’étude. De son côté, l’Agence internationale de l’énergie alertait en mai, dans son dernier rapport sur les métaux critiques, sur les risques de pénuries d’ici à 2030, estimant que les projets actuels et en développement ne permettront de couvrir que 70 % des besoins en cuivre et 50 % en lithium. Comme on dit dans le secteur minier, « no metals, no transition ». Un slogan qui résonne fort aux oreilles de (RE)SET ! Ce qui est sûr, c’est que les risques de pénurie vont rendre plus stratégique que jamais la question du recyclage de ces métaux. Même si France des groupes comme Stellantis ou Eramet ont récemment annoncé l’arrêt ou la suspension de leurs projets de recyclage de batteries électriques, faute d’un modèle économique rentable pour l’instant, remarque Le Monde.
L’observatoire de la semaine concerne nos amis (sans eux, pas de revue de presse !) les médias. L’Observatoire des médias sur l’écologie (OME) a donc été lancé, nous dit Le Monde et un site Web mis en ligne afin que le grand public puisse suivre l’évolution du traitement médiatique des crises environnementales avec des données quantifiées – en pourcentage de temps d’antenne – et qualifiées, c’est-à-dire classées en causes, en conséquences ou en solutions. Cet observatoire vise à mesurer la façon dont onze chaînes de télévision et neuf radios françaises rendent compte des crises climatiques ou liées à l’environnement. Les chaînes généralistes les plus regardées (TF1, France 2, France 3, M6, Arte et C8), ainsi que les chaînes d’information en continu (CNews, BFM-TV, LCI, Franceinfo, France 24), vont être analysées par le consortium. Pour les radios, les stations généralistes à vocation nationale (RTL, Europe 1, RMC et Sud Radio) et les stations de radio généralistes du service public (France Inter, Franceinfo, France Culture et RFI) ont été choisies pour être mises au banc d’essai. Une manière de réponse à l’accusation fréquente d’une trop faible place donnée aux questions environnementales dans l’agenda médiatique français. Cette initiative a été lauréate, en 2023, d’un appel à projets lancé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), visant à produire des projets en open source pour la transition écologique. Dans un premier bilan, il est rappelé que depuis un an le temps d’antenne consacré à ces questions a diminué de 30% et que « la crise climatique est de deux à quatre fois plus couverte que la biodiversité et les ressources naturelles », rebondit dans Le Monde Jean Sauvignon, trésorier de QuotaClimat, qui a participé à l’élaboration de la méthodologie d’analyse des données. Chez (RE)SET aussi, on répète souvent que la transition ne s’arrête pas au carbone et au climat, qui ne constituent qu’une partie des défis.
Pour rester dans le même sujet, le « bravo » de la semaine revient, une fois n’est pas coutume, à TF1 qui a diffusé à une heure de grande écoute, en pleine COP 29, une vidéo de 7 minutes fort bien faite consacrée aux limites planétaires. Laissant la part belle aux graphiques et aux effets spéciaux, très pédagogique dans sa présentation, elle peut être visionnée sur YouTube.
Le chiffre de la semaine est 610 ! La concentration de particules polluantes PM2,5 a atteint début novembre 610 microgrammes par mètre cube, soit 40 fois le niveau jugé acceptable par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à Lahore, deuxième ville du Pakistan, au Pendjab. Un record historique qualifié de « criminel », plus mortel que l’épisode COVID note Le Figaro. Ce niveau [de pollution] est dû au couloir de vent d’est venant d’Inde. Le smog est particulièrement marqué en hiver, lorsque l’air froid, plus dense, retient au niveau du sol les émissions des carburants de mauvaise qualité utilisés pour alimenter les véhicules et les usines de la ville. Lahore est la ville la plus polluée du monde, selon le classement en temps réel de l’entreprise suisse spécialisée dans la qualité de l’air, IQair.
Pollution toujours, plastique cette fois, le Traité de la semaine est bien sûr celui, négocié depuis des années, devant mettre fin à cette pollution ! A peine la COP29 terminée à Bakou, la diplomatie environnementale a rendez-vous à Pusan (Corée du Sud), pour s’attaquer à une autre menace planétaire. Les délégués de 175 pays sont réunis depuis hier et ont jusqu’au 1er décembre pour ce qui est censé être la cinquième et dernière session de négociations visant à finaliser un traité mondial. Avec un objectif : aboutir à un instrument international juridiquement contraignant avant la fin de l’année. Comme en Azerbaïdjan, le spectre d’un échec plane sur Pusan, redoute Le Monde. « Même en devenant les champions de la collecte et du recyclage, on ne réglera pas le problème de la pollution plastique, si on ne réduit pas la production de plastiques vierges », répète Agnès Panier-Runacher, qui sera représentée à Pusan par la ministre déléguée à l’énergie, Olga Givernet. La production mondiale de plastique (on recense plus de 4 000 polymères différents) a doublé ces vingt dernières années et devrait dépasser 500 millions de tonnes pour l’année en cours : de quoi emballer 50 fois la France dans du film alimentaire. Selon les prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques, cette production exponentielle devrait atteindre le milliard de tonnes avant 2050, si rien n’est fait. Elle s’accompagne d’une explosion comparable des déchets : ils devraient presque doubler entre 2020 et 2040, pour dépasser les 600 millions de tonnes. Une très faible partie est recyclée (moins de 10 %), près de la moitié est enfouie dans des décharges et 19 % sont incinérés. Le reste (22 %) se retrouve dans l’environnement et notamment dans les océans.
Chacun est conscient de l’enjeu, mais les choses ne se présentent pas bien, à Pusan : le projet de texte (zero draft) a enflé pour devenir un fourre-tout de 87 pages, avec des options et des sous-options contradictoires, avec 7 400 mentions entre crochets. « Si on ne garde que ce qui n’est pas entre crochets, c’est-à-dire ce qui fait consensus, on se retrouve avec une page et demie, c’est terrifiant », commente Henri Bourgeois-Costa, directeur des affaires publiques à la Fondation Tara Océan, qui documente la pollution plastique depuis 2010 à travers ses expéditions scientifiques. Agnès Panier-Runacher en convient : ce texte ne constitue « pas une bonne base de négociations » et augure des « discussions difficiles » et un « accord incertain ».
L’autre chiffre de la semaine (!) est 15. Comme 15% du PIB mondial qui va disparaître d’ici 2050 du fait de la crise climatique. C’est l’une des conclusions de la version récemment mise à jour des scénarios d’évaluation des risques économiques liés au changement climatique, publiée par le NGFS, le réseau des banques centrales mondiales consacré au verdissement du système financier (pas de dangereux activistes, donc…). Une évaluation trois fois plus élevée que dans le passé, à la suite de la meilleure prise en compte des risques chroniques associés avec les dérèglements climatiques, précise Novethic. Donnant par la même une idée du prix de l’inaction, un concept que l’on n’oublie jamais, chez (RE)SET.
Le sondage de la semaine nous vient de l’ADEME. A l’occasion de la COP 29, l’ADEME a publié la 25e vague de son baromètre « Les représentations sociales du changement climatique des Français ». Présenté pour la première fois en 2000, ce baromètre constitue un outil essentiel pour comprendre l’opinion publique sur la transition écologique et les actions attendues. Cette nouvelle édition révèle l’adhésion particulièrement forte des Français pour davantage de mesures visant à limiter les conséquences du changement climatique. Cependant, l’ADEME observe cette année une légère démobilisation à l’échelle individuelle et une progression du climato-scepticisme. D’un côté, Les mesures règlementaires sont plébiscitées : « Interdire la publicité pour les produits ayant un fort impact environnemental », jugée souhaitable par 84% des Français (+4 points vs 2023), « Obliger les propriétaires à rénover et à isoler les logements », par 72% (+3pts), « Limiter la circulation des véhicules les plus polluants dans les grandes agglomérations », par 72% (+6pts), ou encore « Obliger la restauration collective publique à proposer une offre de menu végétarien, bio et/ou de saison », pour 68% d’entre eux (+5pts). Dans le même temps, la proposition de taxer davantage les véhicules les plus émetteurs de GES gagne 7 points par rapport à 2023 (63% des Français favorables) ; l’augmentation des prix des produits à fort impact environnemental gagne 7 points également atteignant 60% d’avis favorables. Mais à l’inverse, s’agissant de leurs propres efforts individuels et de leurs préoccupations du moment, l’ADEME observe plutôt une démobilisation. « Cette montée progressive d’un mouvement de déni ou de refus des phénomènes climatiques et notamment de l’impact de l’activité humaine pourrait s’expliquer par le fait qu’ils étaient auparavant supposés lointains (…) alors que les désordres et leurs conséquences font désormais partis du quotidien des Français et s’inscrivent dans une certaine forme de normalité (…) Tout se passe comme s’il y avait une sorte de sidération vis à vis de l’ampleur des désordres climatiques et qu’on en oubliait la cause réelle. Mais il faut rappeler que la très large majorité est convaincue du changement climatique et des causes anthropiques. », précise Anaïs Rocci, sociologue à l’ADEME.
Le détricotage de la semaine – nouvelle rubrique dont on craint qu’elle prenne de plus en plus de place – est à déplorer du côté de Bruxelles et Strasbourg, avec la remise en cause partielle de l’un des textes phares du Green Deal européen, révèle Novethic. Le Parlement européen a approuvé jeudi 14 novembre, le report d’un an du règlement contre la déforestation. Ce texte inédit au niveau mondial, adopté en 2023, entend mettre fin à la commercialisation sur le continent européen de produits issus de la déforestation tels que le cacao, le café, le soja, l’huile de palme, le bois, la viande bovine ou le caoutchouc. Il devait entrer en application au 30 décembre 2024. Mais il était de plus en plus critiqué par une partie du monde économique et par certains pays d’Amérique du Sud et d’Asie. Sous pression, la Commission européenne a donc proposé de reporter l’application du texte d’un an pour laisser à chacun le temps de s’y préparer. Mais le PPE, le parti conservateur majoritaire dans l’hémicycle, en a profité pour tenter d’affaiblir encore plus la portée du texte. Et y est en partie arrivé en faisant passer des amendements pour créer une nouvelle catégorie de pays désignés comme étant “sans risque”, en plus des trois catégories existantes de risque “faible”, “standard” et “élevé”. Dans le viseur des élus : les pays européens, qui pour certains, ont découvert sur le tard qu’ils seraient eux aussi concernés par le règlement. Mais plus globalement, ce sont 136 pays qui entreraient dans cette catégorie en raison des critères très faibles. Pour sortir de cette situation, une possibilité serait que la Commission européenne retire sa proposition de report. Ursula von der Leyen s’était en effet engagée à le faire si des modifications allant au-delà du simple report étaient engagées. Ce qui est le cas. « Lors de l’annonce du report, on craignait d’ouvrir la boîte de Pandore, c’est exactement ce qui est en train de se passer », estime Pascal Canfin.
L’autre détricotage de la semaine – on vous avait prévenu, cette rubrique est menacée d’inflation – concerne la CSRD, la CS3D (devoir de vigilance), voire la taxonomie verte sur la finance, soit d’autres textes majeurs du Green Deal. La Commission Européenne réfléchit à proposer des législations dites « omnibus » pour renégocier certains points précis mais les experts s’inquiètent, explique Novethic, que cette renégociation ouvre une brèche et mène à un affaiblissement en profondeur de ces textes. Lors d’une conférence de presse début novembre, la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, a ainsi déclaré qu’elle allait prochainement proposer une législation omnibus dans le but de “réduire la bureaucratie et de réduire les charges liées aux reportings”. En Allemagne, où la CSRD n’est toujours pas transposée, plusieurs représentants de la droite libérale appellent ainsi à réécrire le texte au niveau européen, pour réduire les obligations. Même son de cloche pour le devoir de vigilance européen qui doit entrer en vigueur en 2027, critiqué par les lobbies du secteur privé dans toute l’Europe. En France, Antoine Armand, ministre de l’Économie, mentionnait il y a quelques jours un rehaussement des seuils pour les entreprises concernées, ainsi qu’une réduction des obligations réglementaires pour les PME notamment. Le Medef appelle également à réviser les seuils définis par la Commission Européenne pour les entreprises soumises à la CSRD. « L’idée avancée dans les lettres de mission des Commissaires européens est de recréer une catégorie “midcaps”, pour les entreprises non cotées entre 250 et 750 salariés par exemple, pour lesquelles des standards allégés de reporting s’appliqueraient » explique Abrial Gilbert-d’Halluin, ex-sherpa CSRD, et conseiller auprès d’un député PPE au Parlement Européen. En fonction des seuils choisis, ce seraient donc potentiellement des dizaines de milliers d’entreprises européennes qui seraient soumises non plus aux standards des grandes entreprises, mais à ceux des PME cotées, moins ambitieux.
Pour savoir jusqu’où risque d’aller le détricotage du Green Deal, il faudra attendre la nomination des rapporteurs sur les différents textes, et voir quelles forces politiques seront à la manœuvre. En attendant c’est l’ébullition dans les instances européennes, car le Green Deal qui a occupé la précédente législature pendant 5 ans, pourrait en quelques mois être profondément remis en cause.
Le « on progresse » (lentement) de la semaine concerne le secteur des médicaments. En 2022, le syndicat professionnel Les Entreprises du médicament (LEEM) estimait que le secteur des médicaments produits et/ou consommés en France était responsable d’environ 26 millions de tonnes de CO2, soit un peu plus de 6 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) nettes du pays, explique Les Echos. Le LEEM a donc lancé en juillet 2023 un plan de décarbonation de la filière, avec deux objectifs principaux : « Pour être en phase avec l’Accord de Paris, nous visons une baisse de 50 % des émissions directement liées à la fabrication du produit, et de 25 % des émissions indirectes, comme l’approvisionnement, le transport ou l’utilisation », explique Paul Mirland, responsable transformation industrielle pour le syndicat. Plus d’un an après de la parution de cette feuille de route, les premières actions en faveur d’une industrie pharmaceutique plus verte se précisent : en octobre 2023, LEEM a signé un accord de branche, engageant ses 280 adhérents à réaliser un premier bilan carbone, avec une plateforme en ligne, CarbonEM, qui permet de calculer son bilan carbone et de piloter la trajectoire de réduction. Cet outil est aujourd’hui exploité par 86 entreprises. De manière plus pratique, le syndicat professionnel a réalisé une étude technique sur la décarbonation des sites de production de médicaments. De son côté, Sanofi annonce avoir réduit de 11 % ses émissions totales en GES entre 2019 et 2023. De plus, depuis l’été 2024, 85 % de l’électricité du géant pharmaceutique provient de sources renouvelables. Aussi, AstraZeneca, à Dunkerque, a initié un programme de remplacement du gaz propulseur dans ses inhalateurs, au profit d’un gaz moins nocif pour l’environnement. Par ailleurs, la filiale française de Novo Nordisk à Chartres (Eure-et-Loir) expérimente depuis 2022 la récupération et le recyclage de stylos injecteurs d’insuline. Dans les mois à venir, prévient Les Echos, la France pourrait franchir une nouvelle étape dans la décarbonation de l’industrie pharmaceutique avec l’introduction d’un Eco-score sur les médicaments.
Autre illustration du « on progresse (lentement) », une bonne nouvelle nous vient des Etats-Unis, au moins de sa côte Ouest -par ailleurs démocrate ! Fashion network explique que le parlement californien vient d’entériner le « Responsible Textile Recovery Act », qui va imposer aux marques de vêtements vendant localement de financer la collecte, le transport, le tri, la réparation et le recyclage des produits en fin de vie. Un genre de Responsabilité Elargie du Producteur (REP) bien connu en France, Refashion peut en témoigner, mais nouveau pour les Etats-Unis. Le texte voté par le législateur donne jusqu’au 1er juillet 2028 pour la création d’une Organisation de responsabilité des fabricants (dite “PRO”), qui devrait présenter un plan complet visant à piloter la gestion de la fin de vie des produits textiles dans l’État le plus peuplé des États-Unis. Un plan qui devra être revu par la suite tous les cinq ans. À compter de juillet 2030, les marques et fabricants qui ne prendraient pas part au financement du PRO, via un “Fonds de valorisation de produits textiles”, seraient susceptibles d’être visés par des sanctions pénales. Celles-ci seraient plafonnées à 10.000 dollars par jour, et 50.000 dollars pour une violation consciente ou volontaire du cadre fixé. Le marché californien des vêtements et accessoires devrait dépasser, cette année, 43,8 milliards de dollars. Los Angeles est la capitale américaine du textile-habillement, avec pas moins de 45.000 emplois générés par la filière.
Dans notre série « restons optimistes », la bonne surprise de la semaine se trouve sous les flots, autour de Port Cros. Libération a enfilé son masque pour plonger près de l’île varoise où, soixante ans après la création d’un espace protégé, les poissons sont plus gros et plus nombreux qu’ailleurs. Un corridor de biodiversité qui pourrait préfigurer la Méditerranée de demain. Comme quoi, la création d’espace protégés peut très bien fonctionner. Un reportage très vivant qui redonne le sourire : « Deux mètres de fond sous nos pieds. La posidonie ondule avec l’effet des vagues. L’herbier n’est pas seulement un poumon vert et un capteur de dioxyde de carbone, il est aussi nurserie à poissons. Qui sait combien de juvéniles ont éclos dans ses longues hampes vertes ? Combien grandissent à l’abri des remous et des regards ? Revoilà le banc d’oblades. Elles nagent avec les castagnoles, « à la queue en forme d’hirondelle ». Elles croisent les saupes, ces « vaches de mer ». Vincent Bardinal ôte son tuba pour faire les présentations. Le garde du parc national de Port-Cros tend sa main vers la droite : une dorade dodeline. « Elle est trois fois plus grosse que chez le poissonnier, compare-t-il dans sa combi néoprène. La biodiversité, ce n’est pas forcément le nombre de poissons. C’est aussi la taille et la diversité. »
Notre rubrique « Maxime Blondeau de la semaine » est également encourageante. Reprenant un reportage passionnant diffusé sur France Inter, le cosmographe (comme il se présente) s’intéresse à la Corée du Sud, « championne du monde du recyclage des biodéchets ». Ce pays est passée d’un taux de recyclage de 2% à 95% de ses biodéchets et ce en un temps record (25 ans). Un exemple pour la planète entière ! Par « biodéchets », on entend ici tous les produits biodégradables, surtout alimentaires, pouvant être décomposés naturellement par des micro-organismes vivants. Cela représente 30% des poubelles des Français, environ. Selon Zero Waste Europe, un tiers seulement du total des biodéchets de l’UE sont collectés, ce qui signifie que 40 millions de tonnes de nutriments potentiels pour les sols ont été perdus. Le tri des déchets alimentaires vient juste d’être généralisé en France, le 31 décembre 2023. « On passe la seconde », écrit-il ironiquement sur LinkedIn. A l’inverse, le parcours des Sud-coréens impressionne. En 1995, seulement 2% des déchets alimentaires étaient recyclés. Dix ans plus tard, la mise en décharge des biodéchets a d’abord été interdite. Puis en 2013, le recyclage et le compostage des déchets alimentaires est devenu obligatoire, avec la distribution dans tous les foyers de sacs spéciaux biodégradables. Et en 2020, la Corée du Sud présente un taux de recyclage des déchets alimentaires de 95%. Parmi les outils utilisés pour ce succès : un financement citoyen consenti, proportionnel à l’émission de déchets alimentaires (pour une famille de quatre personnes, jusqu’à 6 euros/mois) ; le développement d’usines publiques où les déchets alimentaires sont séchés et transformés en aliments pour animaux, en compost ou en biogaz ; une flotte spécifique de collecte des biodéchets (des camions spéciaux déployés par les services municipaux) ; 6 000 poubelles automatisées équipées de balances et d’identification par radiofréquence (RFID) pèsent les déchets alimentaires lors de leur dépôt et facturent les résidents ; des fermes urbaines pour boucler la boucle. Ces fermes utilisent le compost et cultivent des aliments localement. Dans la capitale Séoul, l’équivalent de 238 terrains de football sont désormais des fermes urbaines !
Le « name and shame » de la semaine – encore une nouvelle rubrique, la Breaking (RE)NEWS ne recule devant rien ! – est emporté haut la main, ou l’index, par l’application Yuka, dont le « pari militant » est décrypté par Les Echos. Interpeller une marque en un clic. Yuka et ses 37 millions d’utilisateurs en France et aux Etats-Unis propose désormais d’interpeller une marque en un clic ! Objectif on ne peut plus clair pour l’appli de notation de la qualité nutritionnelle : pointer du doigt publiquement les marques dont les produits contiennent un des 55 additifs catégorisés comme « à risque » (code couleur rouge sur l’application) les plus répandus. Il s’agit entre autres de sels de nitrite et de nitrate (E249, E250, E251 et E252), du mono/diglycérides d’acides gras (E471), de l’aspartam ou encore de certains colorants alimentaires. Concrètement, quand un utilisateur scanne un tel produit en faisant ses courses, il peut depuis son application envoyer un courriel prérédigé au service client du fabricant et, ou au choix, publier un tweet pour l’épingler publiquement. Le tout assorti d’un hashtag dénonciateur et bien senti : « Balance ton additif ». Au total, cette fonctionnalité cible au moins 15.000 produits alimentaires sur les 3 millions référencés aujourd’hui en France dans l’appli. Pour la France, 1.200 marques sont dans le collimateur. « C’est le « truc » le plus gros que l’on a lancé depuis la création de l’application en 2017 », se réjouit la cofondatrice, assumant un pari « juridiquement risqué » et un projet « très militant ». Aux yeux de la patronne, le dispositif est toutefois conforme aux deux ambitions initiales de son entreprise : « mieux consommer » et « mettre la pression sur les industriels ».
La devinette de notre précédente édition était liée aux élections américaines. Qui avait donc posté sur X (ex-Twitter) ce petit écureuil « starwarisé » et pourquoi… ? Il était accompagné d’une citation d’Obi Wan Kanobi : « If you strike me down, I will become more powerful than you can possibly imagine ». Le lien était ténu avec nos sujets, on l’avait reconnu. Car il s’agissait d’un post d’Elon Musk, l’homme à nouveau le plus riche du monde, nommé depuis à la tête du « ministère de l’efficacité ». Il prenait ainsi la défense d’un écureuil « démocrate » promis, à la fin d’une longue et belle vie, à l’euthanasie. Sans doute la manière d’Elon Musk de défendre la biodiversité ?!
La devinette de cette semaine est certes poétique mais surtout liée à nos sujets. D’où nous vient ce banc est quel message véhicule-t-il ? Et non, rien à voir avec Brassens et ses amoureux sur les bancs publics.
Bonnes lectures et bon mercredi !
[Pour rappel, (RE)SET, fondé en 2019, est le premier cabinet de conseil indépendant dédié à la transition économique et environnementale et taillé pour l’action. « (RE)SET : resources to win environmental and economic battles ! » Forcément partielle, parfois partiale, toujours engagée, cette revue des médias au ton souvent enlevé, voire impertinent, n’engage aucunement (RE)SET et a fortiori moins encore Julhiet Sterwen dans ses activités de conseil mais elle brosse un portrait que nous estimons intéressant de l’état de la transition telle qu’elle transparaît dans la presse et les travaux de recherche. Une photographie du débat, des forces en présence, des oppositions, des convergences, que nous espérons utile à vos décisions et à la construction de vos stratégies de transition.]