Corriger les défauts de la CSRD, oui. Mais revenir en cinq semaines sur des normes environnementales qui ont mis des années à être négociées et mises en place n’est ni stratégique, ni juste, plaide Géraldine Poivert, fondatrice de (RE)SET.

Par Géraldine Poivert (présidente de (RE)SET)
Publié le 3 Mars. 2025 à 07:05
Prendre l’omnibus n’est jamais le plus court moyen d’aller d’un endroit à un autre… Le projet de directive que la Commission Européenne s’apprête à présenter pourrait marquer, selon ses détracteurs, une accélération du détricotage du Pacte Vert et un ralentissement de la transition environnementale et économique des entreprises européennes, dont le rythme était déjà mesuré. A l’inverse, jugent ses initiateurs, cette directive pourrait sauver la compétitivité du Vieux Monde.
Comme dans toute négociation qui s’annonce délicate, des « fuites » opportunes alimentent les médias. En réalité, on ignore, à ce jour, ce que la Commission présentera vraiment. Néanmoins, grâce aux « fuites » et aux déclarations récentes de la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, quelques idées fortes apparaissent, certaines bonnes, d’autres moins.
Problèmes de principe et de méthode
La directive omnibus s’inscrit dans le cadre de la stratégie dite « Boussole de compétitivité » présentée le 29 janvier par la Commission. Elle exige, notamment, « un choc de simplification ». Nos entreprises seraient défavorisées dans la compétition mondiale par le tombereau de normes qu’elles doivent respecter du fait entre autres du Pacte Vert. Cibles privilégiées des contempteurs : la CSRD, la CSDDD (dite CS3D) et la taxonomie. Des acronymes et concepts que peu des lecteurs de ces lignes comprennent, ce qui fait partie du problème. Pour simplifier, justement, disons que la CSRD, la CS3D et la taxonomie constituent la « boussole de durabilité » des entreprises. « Boussole de compétitivité » contre « boussole de durabilité », une fois de plus, on tente d’opposer économie et écologie, ce qui selon nombre d’experts et d’acteurs de la transition, au premier titre l’autrice de ces lignes, est une erreur ! Car l’un ne va pas (durablement) sans l’autre, précisément.
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De ce que l’on croit savoir, le projet de directive omnibus comporte un certain nombre d’inconvénients majeurs. D’abord sur le principe : on change les règles du jeu au milieu de la partie, ce qui n’est pas très « fair-play » pour les bons élèves, pays et entreprises, qui auront le sentiment d’être les dindons de la farce. Concernant la CSRD, des milliers d’entreprises européennes se sont conformées à la loi : elles ont identifié leurs risques et opportunités et rédigent actuellement leur rapport de durabilité sur les données de 2024.
Inconvénient sur la méthode, aussi : on donne cinq semaines aux fonctionnaires européens et à quelques représentants du monde de l’entreprise choisis sur des critères discutables, pour défaire et refaire ce qui a pris cinq ans à être négocié ligne à ligne sur le plan européen.
La boussole n’indique plus rien
Inconvénients sur le fond, enfin. Certaines fuites laissent à penser, toujours sur la CSRD, que l’on reviendrait sur le concept même d’analyse de double matérialité – c’est-à-dire, en simplifiant, identifier les conséquences de l’action de l’entreprise sur son environnement mais aussi de cet environnement sur elle-même – et que l’on supprimerait l’obligation de réfléchir à une stratégie pour améliorer les choses. Ce serait là vider la CSRD de tout son sens : la boussole n’indiquerait plus rien.
« On change les règles du jeu au milieu de la partie, ce qui n’est pas très « fair-play » pour les bons élèves. »
On entend aussi que la CS3D serait reportée « sine die », une manière « communautaire » de dire « supprimée ». La CS3D, c’est une version améliorée du devoir de vigilance actuel, qui rendrait responsables, y compris pénalement, les entreprises de leurs actes et de leurs conséquences sur toute la chaîne de valeur. Ce serait se priver d’un outil précieux pour éviter certaines catastrophes écologiques majeures, ou lutter contre le travail des enfants chez les sous-traitants de sous-traitants…
Rêvons un peu. La directive omnibus pourrait à l’inverse donner l’opportunité de revenir sur les défauts de naissance de ces textes. Par exemple, on ne pourrait qu’applaudir à la diminution du nombre de critères et d’indicateurs utilisés pour la CSRD – elle peut en nécessiter plus de 10.000, pour certaines entreprises. Applaudir, aussi, à la révision de certains seuils, ou de certains délais, pour faciliter la vie des entreprises petites, moyennes et intermédiaires qui connaîtraient des difficultés concrètes à respecter les demandes. Applaudir, enfin, à la mise en cohérence des différents textes.
Bref, corriger plutôt que jeter. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Géraldine Poivert est fondatrice et dirigeante de (RE)SET, cabinet de conseil consacré à la transition environnementale et économique, ambassadeur France 2030.